DiBcom et la TV Mobile

DiBcom est une société française spécialisée dans la conception de chipsets pour divers formats de TV Mobile et la radio numérique. Elle se présente comme un fondeur " fabless ", c'est à dire qui conçoit des puces mais ne les fabrique pas elle même.

Ses chipsets se retrouvent dans des matériels divers : ordinateur portable, ( via des clés USB et PC Cards ) téléphones portables ou systèmes d'infotainment dans les automobiles, en fait partout où peut être diffusée la TV numérique mobile ou au moins nomade.

Mais la TV numérique mobile ( et par extension la radio numérique, qui intéresse également DiBcom ) repose sur de nombreux formats différents, ce qui suppose de maîtriser des technologies et de gérer des bandes de fréquences variables selon les marchés.

Et puisque l'aspect mobile est privilégié, il faut tenir compte des contraintes liées à ce domaine spécifique : miniaturisation, consommation d'énergie, interférences avec d'autres technologies sans fil embarquées...D'où l'intérêt de développer des plates-formes multiformats, comme Octopus, que l'on peut ensuite adapter au marché visé.

Tout naturellement, DiBcom s'est impliquée dans le développement de la technologie DVB-H ( voir notre dossier ) choisie comme standard de TV Mobile par la Commission européenne. Sur cette base, la France devait lancer la TMP ( Télévision Mobile Personnelle ) dès 2008 mais l'accumulation de retards et de visions divergentes entre les acteurs ont retardé l'échéance.


La technologie est prête, pas le cadre économique
L'année 2009 aurait dû être celle de la mise en place du cadre permettant le déploiement de la TMP mais les désaccords entre opérateurs mobiles et diffuseurs de chaînes ont compromis son lancement, au point que le gouvernement, après avoir tenté de résoudre les différends en nommant un modérateur, a dû se résoudre à réfléchir à des scénarios alternatifs.

Si la TMP au standard DVB-H est au point mort, des expérimentations sont lancées pour valider la technique de formats dérivés, comme le DVB-SH qui fait intervenir une communication satellite pouvant résoudre le problème de la construction du réseau en fournissant immédiatement une couverture importante.

DiBcom est aussi présente sur cette technologie et peut proposer des chipsets dès que les acteurs industriels seront prêts à soutenir le marché. Pendant ce temps, les opportunités de croissance de la société se situent du côté de la Chine et de son standard local CMMB qui, comme d'autres technologies chinoises, bénéficie d'un vrai soutien du gouvernement et des industriels. DiBcom vient d'ailleurs de renforcer sa présence en Chine pour répondre à ce nouveau marché mais ne désespère par de voir la situation se débloquer en France.

Yannick Lévy, son président, donne ainsi son point de vue sur différents aspects de la TMP : le rôle des opérateurs, les attentes du marché, ses premières phases... dans une tribune libre. Nous en avons profité pour lui poser quelques questions sur certains des points soulevés

Les déboires de la TMP

Lorsque le CSA ( Conseil Supérieur de l' Audiovisuel )  a annoncé les noms des 16 chaînes faisant partie du premier lot de canaux attribués à la TMP ( Télévision Mobile Personnelle ) en mai 2008, on pouvait penser que le projet était en bonne voie après quelque retard déjà accumulé.

On notait bien à ce moment le flou concernant le rôle précis de chacun, et notamment pour savoir qui prendrait en charge initialement le coût de la création du réseau de diffusion broadcast ( voir la différence entre diffusion broadcast et diffusion unicast ) et on se demandait quel modèle économique attribuer à la TV Mobile.

Le CSA avait son idée et préconisait un accès par abonnement, comme dans le cas de la TV Mobile diffusée via les réseaux cellulaires par les opérateurs mobiles, et anticipait déjà qu'il faudrait attendre le premier semestre 2009 pour voir venir.


Des tensions grandissantes en 2008
Tout au long du second semestre 2008, l'inquiétude est montée graduellement en voyant les obstacles s'accumuler, à commencer par les désaccords entre diffuseurs de chaînes et opérateurs mobiles, chacun voulant que l'autre prenne en charge le gros du coût du réseau, qui représente un chantier de plusieurs centaines de millions d'euros, avec des contraintes réglementaires de couverture qui ne permettent pas spécialement de lambiner.

Ces tensions ont incité le gouvernement à s'intéresser à la question pour tenter de débloquer la situation, d'autant plus que, parallèlement, des portions de fréquences issues du dividende numérique ( passage de la diffusion de la télévision de l'analogique au numérique ) ont été attribuées à la TMP.

Or, ces fréquences font l'objet de fortes convoitises de la part de divers acteurs ( opérateurs, diffuseurs de télévision ) qui souhaiteraient les utiliser pour leurs besoins propres. Si personne n'arrive à s'entendre pour développer la TMP, la réservation des fréquences n'a plus lieu d'être et c'est tout un marché naissant qui pourrait ne jamais voir le jour.


2009, la recherche d'une solution concertée
Ne voyant toujours rien venir début 2009, le gouvernement, par l'intermédiaire de la Secrétaire d'Etat à l'Economie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet, a nommé un médiateur pour tenter de mettre d'accord opérateurs mobiles et diffuseurs, avec l'appui du CSA, prêt à faire quelques concessions sur les conditions de couverture du réseau...tandis que l'espoir d'un lancement reculait d'autant et était repoussé à 2010.

Malgré les efforts, les opérateurs sont restés de marbre, considérant que la diffusion de TV Mobile via les réseaux cellulaires était bien suffisante pour alimenter leur modèle économique jusqu'en 2011 au moins et ne voyant pas la nécessité d'investir dans un réseau DVB-H avant cette échéance.

Le médiateur a donc commencé à imaginer des solutions alternatives : confier la construction du réseau à TDF, utiliser la variante DVB-SH utilisant une communication satellite, faciliter l'adoption de la technologie DVB-H en imposant son intégration dans les terminaux mobiles, réaliser un déploiement en deux temps... Dans le même temps, d'autres acteurs se disent prêts à soutenir le développement de la TMP si ceux qui ont été choisis se désengagent.


Début 2010, toujours pas d'avancée significative
Nous voici début 2010 et l'horizon de la TMP ne s'est guère éclairci. Pourtant, de nouveaux arguments sont entrés en ligne de compte. Les opérateurs mobiles doivent désormais faire face à une explosion du trafic data généré par les clés 3G+ et les smartphones et il apparaît que les capacités des réseaux pourraient être saturées beaucoup plus rapidement que prévu.

Les opérateurs français se disent confiants tout en reconnaissant une hausse très nette de la consommation data, qui va encore s'accentuer en 2010. Or, les usages de TV Mobile pèsent lourd dans ce trafic et la possibilité de les dériver sur un réseau broadcast DVB-H pourrait devenir de plus en plus séduisante.

Par ailleurs, les expérimentations se poursuivent pour valider les schémas techniques du DVB-SH qui pourrait éventuellement finir par remplacer le modèle de la diffusion en DVB-H tel que prévu initialement.

C'est là une partie de l'argumentation de Yannick Lévy, président de DiBcom, dans une tribune libre parue au mois de décembre 2009 et que nous reproduisons ci-après. Nous en avons profité pour lui demander de préciser certains points avancés dans celle-ci.

Tribune libre de Yannick Lévy

Yannick Lévy, président de DiBcom, évoque l'avenir de la TV Mobile et l'intérêt d'un réseau de diffusion broadcast dans le paysage actuel de multiplication des accès à la télévision.


TNT et Télévision sur IP, TMP et TV mobile en 3G :
Concurrence ou complémentarité des réseaux ?


Rappelons-nous : c’est en 2005 qu’est arrivée dans nos foyers la Télévision Numérique Terrestre (TNT) avec ses 18 chaînes dont 12 nouvelles. Au même moment, apparaissait la télévision en streaming (IPTV par les box ADSL) offrant des centaines de chaînes, de la vidéo à la demande, des possibilités d’enregistrement, etc. Bien que le streaming présente une plus grande diversité de choix, cela n’a tout de même pas empêché les Français de devenir des inconditionnels de la TNT ! Elle équipe aujourd’hui plus de 70% des foyers sur le territoire et est disponible sur les box de tous les fournisseurs d’accès à Internet.

En comparaison, c’est aussi grâce à la technologie en streaming que les trois grands opérateurs mobiles nous permettent de recevoir la télévision en 3G sur les téléphones portables. La Télévision Mobile Personnelle qui sera diffusée en broadcasting (sous sa forme de diffusion équivalente à la TNT) n’a pas encore démarré. Elle devrait, elle aussi, comme la TNT, conquérir les Français dans un futur proche en offrant des images et un son de qualité, une réception optimale, etc.


Streaming ou Broadcasting
Avec l’amélioration des débits de l’ADSL, les FAI ont pu intégrer la télévision en streaming dans leurs offres triple play. En effet, une chaîne de télévision requiert au minimum 3 Mbit/s pour la définition standard et 8 Mbit/s pour la haute définition. Les foyers, situés dans des zones où le débit est suffisant, profitent alors de la télévision, du téléphone et d’Internet à moindre coût. Cependant, ceux, situés dans des zones éloignées des centraux téléphoniques ou ayant des problèmes de réception, ne sont pas en mesure d’avoir un signal de qualité. Par conséquent, la télévision sur IP (en streaming) ne fonctionne pas ou mal chez eux. Ainsi, pour parer à ces dysfonctionnements et pour leur garantir une réception de qualité, les opérateurs ont recours au broadcasting. Ils ont alors inclus un récepteur TNT dans les box, récepteur devenu très peu couteux, compte tenu du volume vendu chaque année (environ $3 pour la fonction TNT).

Les opérateurs mobiles rencontrent eux, encore davantage de problèmes de réception de la TV en 3G. Avec l’apparition des smartphones et de l’iPhone, les utilisateurs n’hésitent plus à surfer sur Internet ou à regarder des vidéos ou la télévision en streaming depuis leurs téléphones portables. Les forfaits illimités mobiles connaissent donc un véritable essor. Se pose alors la question de la saturation : il y a encore quelques mois, les opérateurs mobiles expliquaient que les réseaux 3G ne satureraient pas avant 2011 ou 2012. Cependant, d’après les blogs utilisateurs et la presse, il y a de plus en plus de cas de saturation et de clients mécontents. Certains expliquent même qu’ils doivent rebasculer en GPRS (2G) pour télécharger leurs mails et des solutions de streaming comme Sling aux U.S.A. ou l’iPlayer en Grande Bretagne sont maintenant interdites sur les réseaux 3G et disponibles uniquement en WiFi.  En France, il est d’ailleurs de plus en plus fréquent de ne plus pouvoir accéder à la TV en 3G sur son iPhone. Ainsi, les opérateurs mobiles doivent trouver une solution pour parer à cela. Comme pour la TNT, ils pourraient profiter de la technologie en broadcasting et intégrer un petit récepteur de Télévision Mobile Personnelle aux téléphones portables, à un prix plus que compétitif.


Une nouvelle ère ?
Les problèmes techniques de saturation des réseaux 3G rencontrés par les opérateurs mobiles pourraient bien mettre fin aux discussions sur le financement du réseau de TMP qui existent entre opérateurs mobiles et chaînes de télévision depuis trois ans. En effet, le monde mobile va bientôt ressembler à celui de la maison : les offres illimitées vont conduire les consommateurs à utiliser les services proposés sur les téléphones portables dans leur globalité. Un rendu parfait sera exigé, ne tolérant pas le moindre écart ou défaut. Ainsi, il deviendra urgent pour les opérateurs mobiles d’ajouter la TMP à leur offre triple play mobile pour décharger leur réseau mobile. Le LTE n’étant pas prévu avant au moins 2012, cette solution apparait aujourd’hui comme la plus économique et la plus mature, donc la meilleure.

Les chaînes de télévision pourraient en profiter pour diffuser leur contenu classique avec des grilles adaptées à la téléphonie mobile. Elles pourraient permettre aux marques d’y insérer des spots publicitaires dès le lancement du programme plutôt qu’au milieu ou proposer elles-mêmes un catch-up TV payant sur certains programmes. 

Aussi, la Télévision Mobile Personnelle s’inscrit tout simplement dans le prolongement des offres triple play en mobilité. Elle n’a pas donc pas besoin d’un modèle économique spécifique contrairement à certaines idées reçues…

Questions - Réponses

Reprenant l'argumentaire de Yannick Lévy dans sa tribune libre, nous lui avons posé des questions sur certains points précis au regard du contexte de la TMP et des difficultés rencontrées pour mettre d'accord les différents acteurs.


GNT : Votre vision des atouts de la TMP s'imbrique logiquement dans un paysage plus vaste de la TV numérique à consommer sur tous les écrans. Et l'argument de la TMP comme moyen d'alléger les réseaux mobiles surchargés fait sens, comme l'ont montré les problèmes d'engorgement avoués par certains acteurs. Mais, dans ce cas, pourquoi les opérateurs mobiles eux-mêmes ne se montrent-ils pas plus intéressés ? Jouent-ils la montre en attendant l'arrivée des réseaux mobiles à très haut débit ?



Yannick Lévy : Contrairement aux idées reçues, la TMP offre aux opérateurs mobiles d’importants avantages bien qu’ils n’en soient pas toujours conscients.

  1.  Un business model judicieux

    Dans la mesure où l’idée de devoir investir des sommes colossales pour construire un réseau deep-indoor (sur une base de 500 M€ présentés par TDF au début du sujet DVB-H) est complètement infondée, proposer aujourd’hui un business model sur une base d’investissement outdoor uniquement en complément de la 3G et du WiFi serait très judicieux pour les opérateurs mobiles !
  2. La TMP est l’alternative au 3G !

    Elle permet aux opérateurs mobiles d’assurer à leurs clients un service de qualité à tout moment. En effet, la 3G ne fonctionne pas partout, ne permet pas un handover acceptable en déplacement et sature en cas d’une trop forte audience notamment lors d’évènements, etc. Elle est alors principalement utilisée pour télécharger des pages Internet, de la vidéo et non pas pour regarder un programme télévisé. Avec la TMP, nous pourrions tous suivre en direct la Coupe du Monde de Football sur nos portables ! Ainsi, en amenant la TV sur les téléphones portables, les gens comprendraient son utilité et seraient ainsi enthousiastes à l’idée d’utiliser un service de qualité.
  3. Des acteurs français dynamiques favorisant les innovations et l’économie !

    L’arrivée de Free dans le paysage français est une excellente chose pour améliorer l’offre TV sur mobile qui reste aujourd’hui insuffisante comparée à l’appétence des utilisateurs pour un vrai service de TV mobile qui fonctionnerait notamment dans les transports en commun et lors des grands déplacements (vacances). Si les opérateurs mobiles se mobilisaient ensemble malgré la faible concurrence actuelle, la France pourrait alors servir de modèle, prendrait ainsi de l’avance sur le reste de l´Europe et rattraperait notamment son retard avec l’Asie.

 


GNT : DiBcom a déjà démontré qu'il est possible d'intégrer un composant DVB-T dans des produits mobiles et même d'obtenir de bons résultats en diversité. Est-ce que cela ne joue pas contre le DVB-H, malgré ses avantages en matière de mobilité ? Sans parler de l'alternative du DVB-SH qui possède aussi ses avantages et ses inconvénients.


Yannick Lévy : En effet, nous considérons chez DiBcom qu’il vaudrait mieux compléter le réseau DVB-T existant par une meilleure couverture des téléphones portables dans les villes (densification des émetteurs) et ajouter un réseau DVB-SH par satellite pour couvrir les zones inter-urbaines. D’ailleurs, de moins en moins de fabricants de mobiles s’intéressent à développer des terminaux DVB-H. Nokia, qui a récemment lancé un nouveau terminal DVB-H, n’est d’ailleurs plus fermé à l’idée de basculer sur DVB-SH si les volumes sont intéressants.

 


GNT : Concernant le modèle économique de la TMP, qui n'aurait pas besoin d'être spécifique, vous évoquez tout de même une grille adaptée, le placement particulier de spots publicitaires ou la  catch-up TV payante. Est-ce que ce ne sont pas justement les ingrédients d'un modèle économique particulier que les diffuseurs doivent mettre en place et qui ne peut se bâtir qu'en déterminant au préalable  le rôle de chacun pour le déploiement du réseau, le modèle de partage de revenus, etc ?


Yannick Lévy : Je parlais ici uniquement de rediffusion à d’autres heures des contenus prime-time, pas vraiment d’une grille dédiée de programmes courts comme cela a pu être suggéré dans le passé. D’ailleurs, la grille à la maison tend également vers des programmes courts …

Les spots publicitaires sont effectivement la clé d’une transposition du modèle de télévision gratuite dans le monde du mobile. Dans la mesure où l’on regardera la télévision sur son mobile à des heures très différentes de la maison, la notion de prime time disparaît. Il devient donc nécessaire d’avoir de la publicité chaque fois qu’on lance une chaîne TV, d’où l’idée du spot publicitaire stocké en mémoire et affiché avant le lancement de la chaîne, ou alors à travers le guide de programmes (ce qui existe déjà en TV par ADSL à la maison d’ailleurs). Techniquement, on peut déjà le faire aujourd’hui, ce n’est qu’une question de volonté de la part des opérateurs.