Ils vont enfin la fermer

Même bêtise crasse, même ressort scato à base de bouse de vache et mêmes
remugles populistes du retour à la terre. Et pourtant : là où, en 2004,
les frasques pastorales du gardien de but mononeuronal Pascal Olmeta
réunissaient chaque vendredi soir plus de 7 millions de téléspectateurs,
l'audience de la Ferme Célébrités 2 ne cesse de dégringoler. Les
célébrités sont toujours aussi has been, la caméra immanquablement
attirée par la vache qui défèque et l'alibi caritatif. Mais rien à
faire, le four. Au point que, au terme de la finale opposant Jordy,
Daniel Ducruet, Nathalie Marquay et Joanna (mardi prochain à 20 h 50),
Visan, l'asile vauclusien de la Ferme, va devoir apprendre à vivre sans
les célébrités. Il y a en effet fort peu de chances que TF1 remette le
couvert d'une émission qui la roule dans le fumier pour si peu
d'audience (1). Pire : c'est toute la télé-réalité qui va devoir se
passer de vedettes. Un drame, on vous dit.

Mauvaise programmation

Le flop de la Ferme c'est l'histoire d'une chaîne, TF1, qui, à trop
vouloir fourguer du cerveau humain disponible à Coca-Cola, a oublié que
le téléspectateur pouvait en avoir ras la canette. Premier avertissement
au début de l'année, avec 1re Compagnie, une Ferme en tenue camouflage,
produit par le même Endemol. De désolantes célébrités (Marlène Mourreau,
Jean Roucas...), un camp militaire en Guyane et son cortège de concours
de pets, vieilles chaussettes et humiliations. Une telle débauche de
moyens pour un résultat à peine correct niveau audience. Pourtant, un
mois après la fin de cette pantalonnade militaire, TF1 persiste et remet
ça avec la Ferme. La Une s'accroche à sa bonne vieille ménagère au goût
cathodique toujours aussi sûr : 38 % d'entre elles sont encore séduites
par la Ferme, un score «plus qu'honorable», selon la centrale d'achats
publicitaires Carat TV. Mais c'est pour mieux masquer la terrible vérité
: la Ferme n'attire plus le meilleur ami du publicitaire, le jeune. La
semaine dernière, après avoir été battu par PJ sur France 2, la Ferme
Célébrités 2 a touché le fond et seulement 5,1 millions de
téléspectateurs (28,3 % de parts de marché), à un jet de mouette à peine
de Thalassa (France 3). La honte.

Mauvais casting

Il faut dire que la tâche était rude : faire mieux (pire ?) que Vincent
McDoom arpentant le lisier en talons aiguilles. Alors Endemol a dégainé
une brochette de candidats d'un délicieux mauvais goût : Daniel Ducruet,
assez tarte pour se faire poisser par des paparazzi en train de lutiner
une effeuilleuse, Régine, virago patentée, ou encore Patrick Dupond, en
garçon sensible de service... Bref, de la bonne chair à scandales pour
égaler ceux de l'an dernier. Souvenons-nous d'Eva Sulitzer, vaguement
accusée d'avoir fait réduire par quelque nervi son Paul-Loup d'époux à
l'état de courgette. Du tollé déclenché par Elodie Gossuin sortant de la
Ferme pour aller siéger au conseil régional de Picardie où elle était
élue UMP. En 2005, tout a foiré. Pas un scandale, pas une manif
d'agriculteurs... Même le parachutage dans le purin de la baronne
Marianne von Brandstetter n'a pas éclipsé l'horrible Massimo Gargia.
Quant à Jordy, dont on attendait au minimum qu'il soit aussi horripilant
que du temps de Dur, dur d'être un bébé, il est resté désespérément
gentil et poli. «La Ferme 2 a peut-être manqué de transgression,
explique Bertrand Villegas de The Wit, société d'étude des programmes
télé à travers le monde. Il ne faut pas oublier que l'attrait de la
télé-réalité, c'est la transgression, c'est-à-dire voir des choses qu'on
ne devrait pas voir.» Même la tentative de nous faire gober le cocufiage
de Jean-Pierre Pernaut par sa compagne Nathalie Marquay avec «la tendre
complicité» (Ici Paris) de Daniel Ducruet a tourné boudin.

Mauvais scénario

«Ce que le public veut, énonce-t-on à TF1, c'est qu'on lui raconte des
histoires qui lui plaisent.» Raté encore : le scénar' de la Ferme n'a
pas pris. Histoire de tenir ouvert l'oeil bovino-ferroviaire du
téléspectateur, Endemol a joué la surenchère, ajoutant aux vaches des
bestioles exotiques : kangourous, lamas, Philippe Candeloro,
autruches... Outre cette trame zoophile, Endemol a engraissé son
scénario d'une bonne dose de cynisme. Sur le thème «Vu le prix auquel on
a acheté les célébrités ­ 15 000 euros la semaine minimum ­, on a bien
le droit de se payer leur tronche», la production s'est livrée à un
élégant jeu de massacre : Quand on est con, on est con de Brassens pour
illustrer les caprices de Plastic Bertrand, zoom sur le short largement
ouvert de Philippe Risoli, la pétomanie de Princesse Erika, l'adorable
feuilleton «Qui a maculé les toilettes ?» et tout un tas d'autres
gracieusetés qui n'ont pas empêché l'audience de s'effondrer
inexorablement. Alors Endemol a déclenché le plan Orsec, diffusant aux
candidats les séquences où, au confessionnal, ils déblatèrent les uns
sur les autres. Résultat : une foire d'empoigne malséante dont on a un
peu honte d'être le témoin. Surtout quand une Régine surchauffée met
plus bas que terre la jeune Joanna : «Tu n'étais personne avant d'entrer
dans cette ferme, tu ne seras personne après...» Le CSA s'est du coup
transformé en bureau des pleurs, accueillant les hauts cris des fans de
Joanna.«Il y a des propos un peu vifs mais, après vérification, ce sont
des plaintes irrationnelles, tempère-t-on au CSA. Ce genre de polémique
est typique des deuxièmes saisons de télé-réalité. Comme l'audience
baisse, les procédés de production deviennent plus corsés. Nous avons eu
le même genre de plainte avec Star Academy 2 où les fans nous
dénonçaient les malheurs de Nolwenn...»

Mauvaises célébrités

Démarrée en 2003 avec Nice People qui mêlait aux anonymes quelques VIP
de grande classe (Francis Lalanne, Gilbert Montagné), la télé-réalité à
haute teneur en célébrités ajoutée mourra mardi soir avec la fin de la
Ferme. Fini les stars inconnues (Jerry de la Vega présenté en «mannequin
international», Joanna vaguement chanteuse) et les vieux chevaux de
retour. «On va assister à un retour aux anonymes, explique Bertrand
Villegas. A l'étranger aussi on observe que les célébrités doivent être
consommées avec modération.» Au Royaume-Uni, par exemple, I'm a
celebrity, Get me out of here, sorte de Koh-Lanta avec des vedettes
telles que Johnny Rotten des Sex Pistols, s'est vite essoufflé alors que
Big Brother, qui en est à sa sixième édition et toujours avec des
anonymes, ne faiblit pas. Même tendance en Allemagne, Espagne et Italie.
Conséquence : les futures real-TV françaises vont revenir à ce bon vieil
anonyme, pas cher et malléable à souhait. Le Royaume, diffusé sur TF1 la
saison prochaine ? Des inconnus renvoyés au Moyen-Age. La future
télé-réalité de M6 ? Une comédie musicale composée d'anonymes. Mon
incroyable fiancé (TF1), Top Model (M6), diffusés cet été ? Encore des
pékins moyens. Adieu Régine, rebonjour Loana.

(1) Indéfendable la Ferme ? Aucun responsable de TF1 n'a souhaité
répondre aux questions de Libération.

Par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS