Je rédige cette lettre ouverte afin de pouvoir ouvrir un débat et/ou un dialogue entre les hautes sphères qui gèrent actuellement tout ce qui est musique, vidéo, informatique, internet (plus connu sous l’appellation des « Majors »), et ceux qu’ils appellent les « Pirates » dont je fais partie, et à qui ils vouent un combat sans fin. Mais finalement, ils ne savent pas pourquoi les gens agissent de cette manière. Ils sont dans leur monde, et n’ont pas conscience des revenus des gens dits « normaux », ou plutôt les citoyens lambda.

Voici donc une lettre ouverte qui, j’espère, fera bouger les choses ou permettra au moins d’instaurer un dialogue, une passerelle entre ces deux mondes qui ne se croisent jamais, et surtout pour enfin trouver un terrain d’entente, raisonnable et viable pour tous.

Tout d’abord, j’aimerais revenir sur une chose qui peut sembler un détail, mais qui chez nous est une notion primordiale : on ne parle pas de « téléchargement illégal » mais de « Partage ». On échange des fichiers, que certains ont finalement achetés avec leurs deniers, et qu’ils décident de mettre à la portée d’autres personnes, qui, elles-mêmes mettent leurs propres fichiers à disposition. Un échange « équitable » en soi. Cette notion doit être absolument soulignée, elle nous est chère. Nous ne faisons pas ça pour l’argent, ni dans le but de nuire, non ; mais plutôt de rendre service.

A l’ère du numérique, vous appelez cela « téléchargement illégal » mais cela a toujours existé. Prenons par exemple, le temps des cassettes audio. Qui n’a jamais fait de copie pour quelques amis ? Et pour les cassettes vidéo, il en va de même. Qui n’a jamais fait une copie d’une VHS, ou bien enregistré une émission, et prêté cette dernière à d’autres personnes ? Est-ce là du piratage, sachant que nous payons tous une redevance audiovisuelle ?

Ensuite, il y a eu l’apparition des CDs, et, toujours de la même manière, on copiait nos CDs sur des cassettes pour les lire dans nos baladeurs, ou les prêter à des amis. Etait-ce un crime ? Je ne pense pas. Puis, il y a eu l’évolution technologique avec l’arrivée du graveur de CDs, puis les DVDs ont débarqué également : il était désormais possible de graver ses propres films, ses propres compilations. C’était exactement la même chose qu’avant, sauf que les supports ont changé.

Puis, il y a eu l’apparition du MP3. Le début de la fin pour certains, une nouvelle ère pour d’autres. L’ère du numérique, puisque avec également l’arrivée de l’internet, en 56K d’abord, puis l’ADSL (oui, on pouvait enfin téléphoner en surfant sur le Net !) et maintenant la Fibre optique, pour aller toujours plus vite, cela facilite la navigation, mais aussi et surtout le partage des fichiers.

En passant de « E-Mule », LE gros mastodonte de l’époque, aux hébergeurs de fichiers (le plus connu qui a coulé « Megaupload » entre autres), aux serveurs Newsgroups, les trackers Torrents etc., finalement, les techniques de partage ont seulement évolué et ce que nous nous passions autrefois de main à main, nous nous le faisons via des techniques qu’on nous a données, modernes, rapides et puissantes. Plus besoin de sortir de chez soi pour prêter un CD ou un DVD à quelqu’un ! L’accès à des tas de contenus à bout de clic… La simplicité, tout simplement.

Maintenant, voyons cela d’un peu plus près. Cela fait des années que ce système est en marche, pourtant, jamais aucun film ou aucun artiste n’a été pénalisé par ça. Dans une interview de « Envoyé Spécial » sur France 2, diffusée le 19 novembre 2009, on a demandé au PDG de la Gaumont Nicolas Seydoux si le téléchargement avait déjà empêché la réalisation d’un film ; il a simplement répondu :

« Ecoutez, je vais être honnête, au 1er novembre 2009, non. Non. Parce que le risque du piratage est un risque supplémentaire. Par rapport au risque de se dire je fais ou je ne fais pas ce film, ce n’est pas
encore le piratage qui fait qu’il ne se fait pas. »

Il semblerait donc que le réel problème ne vienne pas de là. Penchons–nous sur la situation des artistes musicaux. Lorsque l’on regarde, réellement, combien gagnent-ils sur la vente d’un album ? Si on compte tous les intermédiaires : label, magasin, fabriquant, leur rémunération est faible. Voici un petit résumé pris sur le site de L’Express, avec les chiffres donnés par l’Adami (Administration des Droits des Artistes et Musiciens Interprètes), en janvier 2013 :

« 0,04 euro, c'est ce que touche un artiste lorsqu'un de ses titres est acheté sur iTunes pour 1,29 euros. Les revenus étant toujours partagés entre artistes et producteurs, ces derniers gagnent en moyenne 19 euros quand l'artiste en a touché un.

0,0001 euro, c'est ce que touche un artiste lorsqu'un de ses titres est écouté en streaming légal gratuit - sans abonnement à une plateforme comme Deezer. Une somme qui peut monter jusqu'à 0,004 euro selon le type de streaming - abonnement via un opérateur ou abonnement direct à la plateforme. Ici, quand l'artiste a gagné un euro, son producteur en a touché 18.

Concernant les ventes physiques, l'étude révèle que les rémunérations varient en fonction du nombre d'albums écoulés - et du prix de vente, évidemment. Plus un album se vend, plus l'artiste touche de royalties par achat. Pour un disque à 13 euros, cela varie entre 0,8 et 1,26 euros, rappelle Charts in France. Ici, quand l'artiste a amassé un euro, son producteur en a - seulement - gagné 14. »

Etonnant, non, qu’un artiste touche si peu sur ses créations, vous ne trouvez pas ? Ce sont finalement sur les concerts que ces artistes se rattrapent. Et heureusement. Ces concerts sont souvent des moments particuliers, uniques, contrairement à l’achat d’un disque, un concert ça se vit.

Ne faudrait-il pas se poser la question de « est-ce qu’il n’y a pas trop d’intermédiaires entre l’artiste et le public ? ». Nous arrivons à un organisme qui en fait pâlir beaucoup, j’ai nommé : la Sacem. Pour ma part, je ne pense pas que lorsque l’on parle de la Sacem on parle de droits d’auteur, mais plutôt de droits de diffusion. J’ai été pendant un temps, président d’une association qui organisait des concerts, et également membre d’un groupe pendant plus de 5 ans. Sur les recettes des concerts que nous organisions, la Sacem voulait ponctionner entre 5 à 10% des revenus. Pourquoi ? Alors que nous faisions jouer des groupes locaux, et faisions passer de la musique libre en droit ? De quel droit ? Nous ne sommes pas d’accord avec ce genre de pratiques. Par ailleurs, Lawrence Lessig (spécialiste de droit constitutionnel et de droit de la propriété intellectuelle) propose de répondre à une question très présente dans l'industrie « Quelle est la différence entre voler un CD et le télécharger ? »

Lorsque la RIAA annonçait que les ventes de CDs étaient passées à 803 millions en un an, elle nous disait également que le nombre de téléchargements de musique s'élevait à 2,1 milliards en 2002, et la perte en nombre d'achat de CDs était de 6,7%. Or, si on vole un CD, alors cela fera un CD de moins à vendre, donc chaque vol est une vente perdue. Mais si nous nous basons sur les chiffres fournis par la RIAA, nous pouvons voir que ce n'est clairement pas le cas avec le téléchargement. Si c'était le cas, alors les ventes auraient perdues 100% en 2002 et non 6,7%.

Bref, revenons à nos moutons. Le téléchargement d’un album, oui. Et ensuite ? Enormément de gens téléchargent l’album, puis, s’ils l’aiment, ils l’achètent et même souvent, finissent par acheter une place de concert, et dépenser des sous au stand de merchandising. Où est le mal finalement ? Pour environ 80 centimes que les artistes n’auront pas touché, ils auront une salle pleine à craquer, un public de folie prêt à tout pour les voir. Le partage sur internet, c’est LE meilleur moyen de diffusion pour faire connaître quelque chose, que ce soit un artiste, une série, un film…

Dites-vous bien que la majorité des gens téléchargent pour des raisons financières : s’ils devaient payer tout ce qu’ils écoutent, lisent, regardent, ils n’auraient plus de quoi vivre. C’est trop cher pour la conjoncture actuelle. Par exemple, un jeu vidéo à 70 euros : vous rendez-vous compte de tout ce que l’on peut faire avec 70 euros ? Pour simplement quelques heures de jeu… C’est cher payé. Mais dernièrement, la plateforme Steam a mis au point une bonne technique pour lutter contre le téléchargement : il est désormais possible d’acheter un jeu, de le tester pendant une heure, et si ce dernier ne nous plaît pas, il suffit de faire la demande de remboursement de celui-ci. C’est dans ce sens me semble-t-il qu’il faut aller. Pourquoi payer un prix élevé pour un jeu qui, finalement, ne plaira peut-être pas, et pour un nombre d’heures de jeu réduites ?

Il y a également la partie non négligeable des logiciels qui coûtent très chers, mais dont énormément de gens se servent. Beaucoup n’ont pas les moyens de se les procurer. Par exemple, prenons la suite Adobe : les gens qui sont en école de graphisme paient déjà très chère une année scolaire, et ils n’ont pas forcément les moyens de rajouter plus de 600 euros dans un logiciel. Je connais beaucoup de personnes qui se sont procurées illégalement des copies de logiciels parce qu’elles en avaient réellement besoin mais pas les moyens. Ceci étant, il n’empêche que lorsque les études sont finies et que ces personnes ont un travail, elles achètent finalement les licences de ces logiciels.

Un autre exemple, que je vais prendre dans l’actualité musicale française : le groupe Shaka Ponk, qui fait tourner son show sous Cubase et utilise énormément de logiciels de graphisme, l’ont déjà dit à plusieurs reprises : à leurs débuts, ils se procuraient des versions crackées des logiciels qui coûtaient trop chers pour eux. Et finalement, aujourd’hui, ils les achètent puisqu’ils en ont les moyens. Il en va de même pour le DJ français qui monte actuellement en puissance, j’ai nommé Rone.

Dans une interview il avoue qu’à l’époque où il a commencé la musique électronique, il était étudiant et n’avait pas de moyens : il a tout appris sur des logiciels crackés. Cela fait-il de ces gens des criminels ? Je ne pense pas. Ils se sont débrouillés avec leurs moyens pour arriver à atteindre leurs objectifs, leurs rêves.

J’admire ces personnes, qu’elles soient célèbres ou non. Se donner tous les moyens pour réaliser ses objectifs, il n’y a rien de mal là-dedans. Peut-être certains ont-ils le porte monnaie qui permet de payer ces logiciels, ou à leurs enfants, mais ce n’est pas le cas de la majorité en France, je pense que nous le savons tous.

Passons maintenant au cas des films en DVD à 20 euros. C’est trop cher, pour un film qu’on ne va regarder qu’une fois ou deux, surtout si on a été le voir au cinéma, avec une place à environ 10 euros. Il faut savoir que le cinéma en France ne s’est jamais aussi bien porté qu’en 2014, ça a été dit et répété dès le début de l’année 2015 sur toutes les grandes chaînes de télévision. La plus forte augmentation depuis des années ! Il suffit de se mettre à la place des gens. Quand on gagne le Smic, et une famille à nourrir, on met la priorité là-dessus, et les petits plaisirs après. Mais, à ce prix-là, l’accès à la culture est réservé à une élite. S’il n’y avait pas de téléchargements, beaucoup d’artistes ne trouveraient pas leur public, ou auraient affaire à des salles quasiment vides, j’en suis convaincu.

Donc, non, le téléchargement ne tue pas les artistes. Ce sont les organismes qui profitent du succès des ces derniers qui les tuent. En se gavant sur les créations de ces derniers, ce qui est totalement injuste. La majorité du prix de revenu d’un CD devrait revenir à l’artiste, pas aux intermédiaires, non. Ce ne sont pas eux qui ont travaillé dur pour créer.

Ensuite, une autre raison pour laquelle les gens téléchargent : la disponibilité immédiate et simple d’accès. Par exemple, les séries diffusées aux USA, combien de temps faut-il attendre pour les voir arriver en France ? Aujourd’hui, avec l’arrivée de Netflix un grand pas en avant a été fait, et ça c’est juste énorme ! Mais dites-vous bien que les gens qui publient les séries quasiment moins de 24 heures après la diffusion originale, sont des bénévoles, des passionnés qui font cela bien plus rapidement que le système en France, et sans être rémunérés ! Des équipes entières, qui traduisent et incrustent les sous-titres pour faire plaisir aux consommateurs.

Peut-être serait-il bien de prendre exemple là-dessus en commençant par comprendre pourquoi, et ensuite comment, plutôt que de traquer ces personnes. Quant à télécharger une série qui est déjà passée à la télévision, qu’y a-t-il de mal à cela ? Si on l’avait enregistrée avec un magnétoscope, ou sur le disque dur de notre décodeur, ce serait la même chose. Si quelqu’un nous prêtait les DVDs également. Où est le mal là-dedans, je ne comprends pas.

Si l’on prend l’exemple de Game of Thrones, la série la plus « piratée » au monde, mais celle qui rapporte le plus tellement elle a du succès… Où est le problème ? Ensuite, en France, nous nous sommes toujours vantés de notre culture, de cette exception culturelle. Alors, pourquoi empêcher ceux qui n’en n’ont pas les moyens d’y accéder. Nous payons tous notre redevance audiovisuelle, nous payons tous notre abonnement internet, non ? Il serait peut-être temps que le gouvernement aussi se mette réellement à l’ère 2.0, du numérique. Qu’il comprenne qu’investir des millions chaque année pour Hadopi ce sont des millions gaspillés, inutiles.

Oui, car les gens que vous appelez « Pirates » trouverons toujours un moyen, et qu’ils ont bien plus d’avance sur vous et sur les technologies. Il serait peut-être temps d’ouvrir un réel dialogue avec ces gens dont je fais partie, et que vous considérez comme des tueurs de culture, qu’au contraire nous essayons de diffuser et rendre accessible à tous tant bien que mal.

Ouvrir un dialogue pour proposer une vraie offre légale, quelque chose d’abordable, de correct, qui poussera les gens à consommer via ces moyens. Il y a tellement à faire, plutôt que de sanctionner, ce n’est pas la bonne méthode. Je peux vous le dire et vous l’assurer de par mon expérience personnelle : quand les gens veulent quelque chose, ils finissent par l’avoir, par tous les moyens.

Il serait temps d’arrêter de jouer au chat et à la souris, et se concentrer sur le réel problème : vous n’êtes pas à notre place, vous n’êtes pas non plus à jour vis-à-vis de toutes ces choses. Faites fermer un site de téléchargement, et 10 autres ouvrent dans la semaine qui suit. Ce n’est pas comme cela qu’il faut s’y prendre, et le meilleur moyen reste encore d’être à l’écoute du peuple. Alors, pourquoi ne pas simplement tenter de dialoguer, et de trouver un terrain d’entente pour que tout le monde s’y retrouve et mettre fin à une éternelle guerre sans fin ?

Le but de cette lettre n’étant pas de provoquer, ou de défier qui que ce soit, mais simplement de montrer les choses sous un autre angle, d’avoir une autre approche qui permette de mieux comprendre le pourquoi du comment, et encore une fois, d’amorcer un débat/dialogue qui fera le pont entre nos deux mondes. J’ai peut-être une vision utopique, je suis peut-être un idéaliste, mais j’ose espérer que ceci est possible, et que cette lettre ouverte vous fera réagir, et fera bouger les choses. Je reste fermement convaincu d’être dans le vrai, et je suis ouvert à tout dialogue avec qui voudra me contacter.

Florian, alias « Goz ».