Tribune libre par Adrien GAILLARD, Consultant Réseaux chez NetXP

D’après l’IEEE cette norme ne devrait pas être ratifiée avant au moins 2018 (comprendre entre 2019 et 2020) mais certains constructeurs comme Qualcomm ont déjà annoncé sortir des équipements compatibles « draft-802.11ax » comme on a pu le voir pour le 802.11n et le 802.11ac par le passé. Sachant que le 802.11ac n’est même pas encore déployé massivement pour la première vague, les infrastructures n’ont pour la plupart pas encore été mises à niveau, et c’est encore pire pour les terminaux. Il n’est pas impensable d’imaginer l’arrivée globale du 802.11ax d’ici seulement 5 à 7 ans dans notre quotidien. Mais quelles sont les évolutions qui se cachent derrière cette norme ? Va-t-on véritablement voir les débits WiFi quadrupler comme le vendent la plupart des articles ? Quelles sont les conséquences de cette évolution sur les infrastructures WiFi ?

Évolutions Techniques

Le 802.11ax, surnommé le High Efficiency WLAN (HEW), est prévu pour fonctionner sur les deux bandes de fréquences classiques du WiFi actuelles : le 2,4 GHz et le 5 GHz. Il est donc prévu pour être complètement rétro compatible avec l’ensemble des normes précédentes, contrairement au 802.11ac qui ne fonctionnait que sur le 5 GHz. Ainsi, l’idée du 802.11ax est aussi d’étendre au 2,4 GHz les techniques radio et liaison qui ont été mises en place avec le 802.11ac, on pense particulièrement au MU-MIMO (liaison multi-utilisateurs dans le sens des communications descendantes de l’infrastructure vers les clients) et les méthodes associées de traitement des paquets multi-utilisateurs simultanés (A-MPDU et Block-ACK), aux modulations allant jusqu’à 256 QAM, ainsi qu’aux flux spatiaux pouvant monter jusqu’à un nombre de 8.

L’évolution majeure du 802.11ax réside dans le fait qu’à présent il sera aussi possible d’établir des communications multi-utilisateurs dans le sens montant : plusieurs utilisateurs vont pouvoir transmettre leurs données à un point d’accès WiFi unique en même temps. Pour ce faire, l’idée est d’utiliser un mécanisme présent dans la norme mobile 4G-LTE et de l’adapter au WiFi : l’OFDMA, appelé aussi le MU-OFDA.

L’OFDM classique est utilisé dans les normes WiFi depuis le 802.11g et correspond à une technique de multiplexage des flux qui utilise les propriétés ondulatoires pour optimiser la bande de fréquence totale de transmission pour maximiser les données échangées sans interférences (c’est le principe des transmissions en fréquences « orthogonales » pour lesquelles les échos de la fréquence N sont annulés par les pics des fréquences N-1 et N+1, chaque fréquence N est alors appelée une sous-porteuse). Cependant, avec l’OFDM, une seule communication est permise au même instant entre un émetteur et un récepteur sur une bande de fréquence complète, utilisant ainsi toutes les sous-porteuses d’un même canal.

L’OFMDA tire parti du fait qu’une bande de fréquence est composée de multiples sous porteuses. L’idée est alors d’allouer une certaine quantité de sous-porteuses d’une seule bande de fréquence à un utilisateur, pendant qu’un autre utilisateur utilisera le reste des sous-porteuses disponibles. Les deux utilisateurs pourront alors communiquer en même temps leurs données vers l’infrastructure, tous les deux sur le même canal radio, mais avec des sous-porteuses différentes. Pour pouvoir exploiter de manière plus intéressante cette possibilité, le 802.11ax implique d’augmenter le nombre de sous-porteuses par canal en le multipliant par quatre par rapport à ce qui se faisait jusqu’à alors. Et comment peut-on augmenter ce nombre de sous-porteuses sans toucher à la largeur des canaux ? En réduisant tout simplement l’espace fréquentiel entre chacune de ces sous-porteuses : celui-ci sera alors de 78,125 kHz au lieu des 312,5 kHz actuellement (division par quatre) comme on peut le voir sur le schéma ci-dessous.

evolution-wifi-1

L’OFDMA permet alors de définir des groupes de sous-porteuses indivisibles, qu’on appelle une Resource Unit ou RU (terme emprunté au LTE), et qui peuvent être allouées dynamiquement à des utilisateurs différents lors de chaque unité de temps de transmission. Le WiFi 802.11ax, avec son découpage, permet de faire communiquer jusqu’à 9 utilisateurs différents simultanément sur un canal classique de 20 MHz, 18 pour du 40 MHz, 37 pour du 80 MHz, et 74 pour un canal de 160 MHz. Nous pouvons trouver une visualisation de la différence entre OFDM et OFDMA avec le schéma ci-dessous, de plus une vidéo YouTube d’ExploreGate permet d’expliquer très rapidement le concept :

evolution-wifi-2

  

Cette réduction de l’espace entre sous-porteuses possède cependant un impact : il nécessite de pouvoir identifier clairement le signal de l’émetteur pour éviter les erreurs d’interprétation de symbole, et donc les retransmissions de trames. Pour ce faire, le 802.11ax propose d’augmenter légèrement le temps de transmission d’un symbole OFDM (12,8 µs au lieu de 3,2 µs), mais aussi l’intervalle de temps entre deux symboles OFDM qui peuvent monter jusqu’à 3,2 µs alors qu’ils étaient jusqu’alors par défaut à 0,8 µs. Ces deux modifications n’impliquent au final que peu de différences pour le débit final par rapport au 802.11ac puisqu’elles se contrebalancent. Cette évolution permet aussi de recevoir plus clairement un signal dans un environnement qui entraîne beaucoup de multipath : en augmentant le temps d’attente entre deux symboles, on réduit la possibilité qu’un symbole interfère dans le temps avec le symbole suivant, à cause du délai induit par de multiples rebonds dans l’environnement qu’il aurait pu subir au cours de son chemin vers le récepteur.

Nouvelle implication de cette modification, il est alors plus facile de détecter correctement le signal de l’émetteur. Le 802.11ax propose alors d’aller encore plus loin dans la modulation du signal et de monter à présent jusqu’à 1024 QAM : un seul symbole, dans les meilleurs conditions de transmission, correspondra à lui seul à 1024 bits de données.

Ce qui a été dit ci-dessus se trouve résumé dans le tableau technique suivant :

 

802.11ac

802.11ax

Bande de fréquence

5 GHz

2,4 GHz et 5 GHz

Largeur de bande des canaux

20 MHz

40 MHz

80 MHz

80+80 MHz ou 160 MHz

20 MHz

40 MHz

80 MHz

80+80 MHz ou 160 MHz

Espacement entre sous-porteuses

312,5 kHz

78,125 kHz

Durée de symbole OFDM

CP : 3,2 µs

GI : 0,8 µs ou 0,4 µs

CP : 12,8 µs

GI : 0,8 µs ou 1,6 µs ou 3,2 µs

Modulation maximale

256 QAM

1024 QAM

Débit binaire radio

433 Mbit/s (80 MHz, 1 SS)

6 933 Mbit/s (160 MHz, 8 SS)

600,4 Mbit/s (80 MHz, 1 SS)

9 607,8 Mbit/s (160 MHz, 8 SS)

 

Enfin, outre les évolutions au niveau radio que nous avons pu balayer, quelques améliorations sont aussi proposées au niveau des mécanismes de contrôle des trames, sur lesquelles l’IEEE n’a pas encore statué avec précision car certaines problématiques ne sont pas encore résolues. Parmi ces améliorations, nous pouvons noter les seuils dynamiques du mécanisme de CCA.

Le Clear Channel Assessment est l’un des deux mécanismes de la norme 802.11 classique qui permet à un client de vérifier que le médium est bien libre pour la transmission radio sur la bande de fréquence de communication. Il consiste simplement à « écouter » le canal pour vérifier ce qu’il s’y passe : au-delà d’un certain seuil de réception d’un signal, le client considère que c’est une transmission qui est actuellement en cours et qu’il doit en déduire un temps d’attente avant de transmettre ses données. Ce seuil de détection est défini statiquement à l’heure actuelle.

Dans le cadre du 802.11ax, la proposition actuellement faite est de rendre ce seuil dynamique au niveau des clients et des infrastructures de manière à pouvoir éviter les interférences lorsque les cellules radios sont très petites (cas de haute densité) et qu’une communication d’une cellule « déborde » sur une cellule voisine. Ainsi, lorsqu’un client identifie qu’une communication est en cours, mais pas dans sa cellule (le 802.11ax ajouterait aussi potentiellement l’information de la cellule radio d’appartenance dans les communications, nommée le « bit de couleur ») et qu’il reçoit cette communication un peu plus fort qu’à l’accoutumé, il pourrait dynamiquement ajuster son seuil de détection de signal lors de son mécanisme de CCA dans l’objectif de ne pas être perturbé par cette cellule voisine et donc de ne pas attendre inutilement pour communiquer.

D’autres évolutions concernent quant à elle l’ajout probable d’un deuxième vecteur d’allocation de réseau (NAV) qui permettrait de prendre en charge la temporisation des communications du MU-MIMO et de l’OFDMA, et aussi l’amélioration d’un mécanisme d’économie d’énergie nommé TWT qui permettrait à l’infrastructure WiFi d’imposer aux clients leurs instants de « réveil » pour recevoir des données.


Usages du 802.11ax :

Ainsi, comme nous avons pu le voir jusque-là, les évolutions techniques que comporte le 802.11ax ne multiplieront pas par quatre le débit effectif du WiFi tel qu’on le connaît. Son objectif affiché est bien de faire évoluer la gestion du WiFi dans les espaces à haute et très haute densité, où en effet le débit par utilisateur dans ces conditions pourrait être multiplié par quatre par rapport aux possibilités actuelles.

Autrement, concernant les environnements classiques peu encombrés, ou les environnements en extérieur avec peu d’atténuation, le 802.11ax n’aura que peu d’incidence sur le débit comparativement au 802.11ac.

De plus, toutes les évolutions décrites sont prévues pour être disponible en option, il ne sera pas obligatoire d’augmenter le nombre de sous porteuses, au même titre qu’il sera optionnel de passer sur des temps de Guard Interval de 3,2 µs au lieu de 0,8 µs. Chacun de ces paramètres sera à implémenter et à tester en fonction des infrastructures, des clients, des environnements, de la qualité radio de ces environnements, de l’usage qui est fait du WiFi par les clients, des services proposés par l’infrastructure, etc.

Globalement, nous pouvons statuer que les normes WiFi ont passé un cap qui leur permet actuellement d’être en avance sur les autres briques de l’infrastructure et donc d’être prêtes pour les évolutions futures qui peuvent se produites dans les 10 à 12 ans dans le domaine de la connectivité locale des utilisateurs (nous n’évoquons pas ici les usages de très courtes portées, comblées par le 802.11ad, et les normes de plus longues portées, comme le 802.11ah).

Impacts sur les infrastructures WiFi :

Comme pour l’arrivée du 802.11ac en fin 2013, les mêmes questions se posent par rapport au débit disponible sur les réseaux filaires dont le WiFi n’est qu’une extension : comment allons-nous procéder pour faire transiter une telle quantité d’information sur les réseaux ? Côté infrastructure WiFi la question se pose toujours avec le 802.11ax, et si certains constructeurs ont opté pour la mise en place de deux ports RJ45 sur leurs AP, d’autres ont misé sur la conservation de l’unique port RJ45 maintenant utilisable avec le MultiGig. Et outre ces aspects de débit filaire au niveau de l’AP, la question se pose aussi pour les fonds de panier des infrastructures d’accès, de distribution et de cœur, amenant d’autant plus le doute sur les infrastructures WiFi munies d’un contrôleur physique : cet équipement ne peut pas grossir indéfiniment pour pouvoir à la fois prendre en charge le débit total de tous les AP contrôlés, mais aussi tous les calculs induits par la complexification des normes 802.11 (rien que l’OFDMA demande une puissance de calcul non négligeable pour allouer dynamiquement les sous-porteuses aux clients présents à tout instant dans la cellule radio). Et ne parlons pas des débits des accès Internet qui constituent aujourd’hui et plus que jamais le goulot d’étranglement majeur aux débits de tous les usages du SI.

D’autre part, nous avons cité les problématiques de choix des paramètres pour le 802.11ax, cependant le sujet du troubleshooting n’est que rarement relevé lorsqu’on parle des normes WiFi. En effet, depuis l’amendement 802.11n et les techniques de multiplication des flux spatiaux et du MIMO en général, la problématique du troubleshooting WiFi est devenue de plus en plus complexe à mettre en œuvre, tant au niveau des outils de capture de trame que de l’interprétation des résultats. En effet, le 802.11ac a accentué grandement ce problème et le 802.11ax ne fait que l’amplifier : le matériel requis pour étudier la quantité astronomique de données qui transitent en un temps infime devient de plus en plus cher, et l’expertise nécessaire pour extraire les données importantes pour mettre en évidence des phénomènes propres à l’environnement radio au travers de la connaissance des normes 802.11 devient elle-même peu évidente à trouver sur le marché des experts WiFi.

Autre sujet relatif à l’expertise radio, celle-ci devient plus que nécessaire lors des déploiements spécifiques dans les zones de haute densité où l’ajustement des paramètres disponibles en 802.11 doit se faire de manière très fine afin de pouvoir optimiser au mieux l’expérience client ; la réalité est même pire que cela : un seul paramètre mal ajusté peut induire des problématiques de connectivité, de débit, d’interférence ou de roaming qu’il est alors difficile d’identifier et de corriger après mise en œuvre de l’infrastructure. Parmi ces environnements à très haute densité, nous pouvons citer les exemples de projets des stades qui cherchent à proposer des services de VOD à leurs clients pour visionner en direct des replay des actions qui viennent de se produire, des projets dans des musées afin de mettre à disposition du contenu interactif en vidéo pour l’ensemble des visiteurs qui se déplacent dans les allées, ou encore dans les centre commerciaux qui cherchent à optimiser l’accueil, le parcours et l’expérience d’achat de leurs clients via des applications mobiles elles-aussi interactives.

 

Bref, le 802.11ax amène un niveau technique et fonctionnel dans le haut du panier des différentes briques d’infrastructures réseaux disponibles à l’accès et particulièrement dans les environnements de très haute densité, il nécessite cependant un haut niveau de précaution à l’implémentation et au troubleshooting afin de ne pas générer de mauvaises expériences clients, ainsi qu’une infrastructure réseau au niveau qui permette de maintenir les débits attendus sur la partie radio.

  

Sources :